MLF | 3.75 | |
Ordell Robbie | 3.5 | Le tout et les parties |
De la grandeur, on ne peut pas dire que Tragedy of Japan en manque. D'abord par cette manière de faire revenir le passé en plein milieu de son noir tableau du Japon d'après-guerre, soulignant ce qui va se désagréger progressiment au cours du film: la cellule familiale. Outre la narration en flash backs, cette dimension de film sur le souvenir est amplifiée par les extraits d'actualités et de titres de journaux ponctuant le récit. Il y aussi ces moments de mise en scène montrant qu'à l'époque Kurosawa n'était pas le seul cinéaste japonais à avoir bien digéré l'influence néoréaliste. Quelques mouvements de caméra brusques et très stylisés sont également très réussis, notamment lors de la scène du cimetière. Les passages concernant le guitariste de rue sont également très émouvants tandis que les deux séquences de fin sont surprenantes par leur brièveté et leur noirceur. Et le Japon d'après-guerre est dépeint en creux au travers des divers destins des enfants de la mère victime de la tragédie du titre en évoquant aussi bien l'univers de la prostitution, le marché noir, la difficulté à joindre les deux bouts, le désir de la jeunesse de s'en sortir coûte que coûte.
Qu'est ce qui empêche alors Tragedy of Japan d'être un grand film dans sa globalité? Tout d'abord une interprétation de Mochizuki Yuko en mère qui lorsqu'elle fait dans le pathos donne une impression d'outrance forcée. A l'opposé, tous les seconds rôles, Uehara Ken en tête, sont remarquables. Ensuite, il y a le fait que le film est bien plus réussi dans ses chemins de traverse que concernant son intrigue principale. A savoir que ce récit d'une mère se sacrifiant jusqu'à la déchéance pour des enfants finissant par la délaisser franchit la frontière entre récit tragique et enchainement mécanique d'humiliations encaissées sans broncher et sans chercher à sa rebeller. Le fait que le personnage de la mère soit une simple mère courage sans la détermination rebelle des grandes héroines de mélodrame nuit beaucoup à la force dramatique du film: le personnage suscite la pitié, ce dernier point étant une facilité pour émovoir. Bien sûr, c'est moins pénible ici que das le cas d'une surcharge de pathos à la Lars Von Trier mais bon... Par contre, le récit des rapports entre une des filles et un homme marié désireux de conserver la fraicheur de ses jeunes années est par exemple très réussi. Et la mise en scène n'a pas toujours le brio mentionné plus haut. Une bonne partie du temps, elle se contente d'un artisanat classique de bonne facture ne coulant pas les passages concernés mais ne les transcendant pas non plus.
Ceci dit, le film est à voir parce qu'il fait partie des réussites artisanales de l'âge d'or fifties du cinéma japonais. Et aussi parce qu'on imagine sans peine que ce tableau alors brûlant d'actualité du Japon d'après-guerre et de la difficulté des Japonais à relever la tête au milieu des ruines ait pu bouleverser le public japonais de l'époque. Ce qui est sans doute pour beaucoup dans le statut de classique du film au Japon...