
Wong Kar-wai et Jia Zhang-ke sont déjà là, dans ce chef d'oeuvre basé sur un classique triangle amoureux, considéré à juste titre comme un des plus grand film du cinéma chinois. Wong Kar-wai a peut être retenu ici l'élégance des corps qui se frôlent à peine, les non-dits, la retenue, la classe de Li Wei, grande dame à la beauté imparfaite. Jia Zhang-ke n'a jamais caché que sa muraille de Platform venait de ce film. Dans la "Petite ville", c'est déjà le rendez-vous clandestin des amoureux qui n'ont pas le droit de se dire "Je t'aime", c'est aussi le chemin qu'arpente Yu Wen, sa route qui tourne en rond. Les sentiments intérieurs ne sont pas exprimés ouvertement, mais le décor les dit pour eux : de cette petite ville, on ne verra presque qu'une muraille et une maison, c'est le seul horizon des personnages, leur choix : dedans ou dehors, pas d'alternative. Le reste est mort ou vide. Le film est une épure en chambre mais ne fait jamais théatre filmé. Une figure de style le rend encore étonemment moderne, la voix-off de Yu Wen. Elle est à la fois une pensée intime et une narration omnisciente, car elle raconte des choses que Yu Wen n'a pas vu. Elle est déjà au dessus de tout, loin dans son film à elle, spectatrice de sa vie.

Pourtant non, le métrage n'a pas pris une ride, exploite les thèmes de l'amour avec un recul et une pureté particulièrement chinoise : sa retenue, son incapacité à dire les choses sans risquer un malaise (tous se taisent, mais tous sont conscients de leur amour réciproque), sa gestuelle millimétrée, ses décors baroques que n'auraient pas renié l'âge d'or du cinéma transalpin néo-réaliste, la qualité de ses cadrages n'ayant rien à envier à Julien Duvivier dans sa plus grande période et partageant toute une gamme de techniques visuelles (les deux plans sur les pieds de l'héroïne rappelant l'entrée de Gabin dans Pépé le Moko) en total désaccord avec le système du cinéma Hollywoodien d'époque fixant les limites du cadre au niveau des genoux, filmer la partie inférieure étant tabou même chez les plus grands et ce des années plus tard (Howard Hawks et son Rio Bravo en est l'exemple le plus parfait). C'est pour tout ceci que Spring in a Small Town fait figure d'objet classique à part entière, et fait briller le moindre de ses acteurs : le point sur Wei Wei au centre du cadre, avec en arrière Chaoming Cui et le reste du décor, flous, rappelle la photographie de Doyle pour In the Mood for Love, synonyme de savoir-faire évident et de maestria visuelle "contemplative". Mais cette contemplation n'est pas gratuite et ne fait que refléter l'élégance des rencontres et des discussions dans cet unique cadre : une maison et son jardin. Ne parlons pas non plus de huit clos, le film n'en a ni la prétention ni l'intérêt car cette fermeture sur le monde extérieur coïncide principalement avec la parabole faite sur l'amour discret et pudique voulu par Fei Mu. Grand film en l'apparence, le spectateur amateur de romance et de retenue y trouvera son compte.

