Xavier Chanoine | 3.25 | Aide toi et le ciel t'aidera. Comment ça, tu ne veux pas? |
Second film de Lee Kang-Sheng, nouvelle déclaration d'amour au cinéma si particulier de Tsai Ming-Liang qui reprend le temps d'une escapade nocturne destroy les us et coutumes cinématographiques de son mentor. Help Me Eros n'est pas bien méconnu, même lors de ses premiers plans alors qu'on est en face de la première réalisation de Lee : l'accumulation de plans poseurs, esthétiques certes mais poseurs, la richesse des contrastes avec une première séquence qui dévoile par le biais d'un rétroviseur un chauffeur entrain de se masturber et une seconde où Ah Jie (Lee Kang-Sheng) regarde une émission culinaire ou deux hommes massacrent un pauvre poisson. On passe du plaisir solitaire d'un homme (mais plaisir quand même) à une autre empreinte d'une vraie bestialité, complaisante car accentuée par les zooms pervers du caméraman. C'est ça, Help Me Eros, cette faculté à mêler l'horreur et l'amour dans un pur souci de destruction du corps et de l'esprit. Ah Jie est un looser adepte de la fumette, il entretient une relation à distance avec une demoiselle qu'il n'a jamais vu. Ils discutent par téléphone puis par mail. Cette femme est obèse et son mari est "bi curieux" (en plus d'entretenir une vraie passion pour les anguilles). Parallèlement, Ah Jie s'amuse avec une fille qui bosse dans un betelnut, il lui fait goûter à la drogue, lui fait l'amour, lui fait la mort. Sorte de conte désenchanté, Help Me Eros entretient une certaine idée du tragique selon Lee Kang-Sheng, où à force que le temps passe, tout s'écrase, tout disparaît. C'est l'effet trompeur de la marijuana, ils planent et font l'amour après quelques bouffées et virées sur les routes désertes le soir, et tombent dans un espèce de tourbillon mortuaire une fois les effets estompés. Le film est d'ailleurs relativement osé de ce point de vu là, où les séquences de fumette s'enchaînent avec en retour cette impression que Lee Kang-Sheng fait la promotion de cette drogue (de très nombreux échanges à deux, à trois, suivis d'une orgie) ce qui peut rendre ces séquences là pour le moins dérangeantes. Osées aussi surtout lorsque l'on voit la palanquée de films qui ne passent pas la censure parce qu'ils disent de simples vérités, la drogue et les séquences cul simulées mais très explicites s'enchaînent dans Help Me Eros sans pour autant être détruites pour dépasser les frontières de Taiwan.
D'ailleurs on trouve un vrai sens de l'érotisme dans ce méli-mélo des sentiments enfouis dans une profonde tristesse (la fille du betelnut n'est qu'une poupée de plus, Ah Jie est un looser, la fille obèse est au bord du suicide), la séquence impliquant Ah Jie avec deux poupées dans le jeu d’inhalation de drogue en serait presque diablement érotique. Ne parlons pas des séquences d'amour, esthétiques, simplement très belles, concoctées par Liao Pen-Jung, le chef opérateur attitré de Tsai Ming-Liang. Au programme, de très nombreux jeux de miroir et d'angles symétriques inquiétants, un nombre hallucinant de détails et de petites attentions qui ne sont pas au centre du cadre, une lumière plutôt bien faite rendant justice à l'esprit "néon" de l'oeuvre. On note d'ailleurs de merveilleux moments de cinéma (, emportés par une triste grâce, le plan final et ces milliers de papiers volant dans le ciel est un des nombreux exemples. Alors certes on peut crier à l'esthétisation, mais le choix de cadres biscornus est le reflet même de ce qui se passe dans la tête de Ah Jie. Le spectateur est d'ailleurs mis rapidement au courant des problèmes du personnage, notamment lors de ce plan séquence fixe en début de métrage où on le voit faire les cents pas dans son appartement. Cette belle réussite du cinéma contemplatif franchement glauque (incroyable séquence du billard entre les deux hommes!) marquera les esprits des plus coriaces d'entre vous, d'entre nous, ponctué comme chez Tsai de séquences musicales pas super inspirées mais reposantes au vu de ce que les protagonistes vivent au jour le jour. Lee Kang-Sheng prometteur? Sans doute que oui, à condition que l'acteur cinéaste apporte à son prochain film un regard plus personnel.