Bande sens
Patrice Leconte s'est fait plaisir et c'est tant mieux pour lui. Il a eu un vrai coup de foudre, s'est épris d'une nouvelle passion, qu'il a absolument tenu à associer avec l'AUTRE passion de sa vie – le cinéma. Une expérience, qui l'a visiblement bouleversée et qu'il tente à tout prix de partager avec nous, comme le prouve le second intitulé de son film "Ouvrons les yeux", un brin pompier et quasi moralisateur. On est contents pour lui; mais cela suffit-il à convaincre ?
"Dogora" est né de deux découvertes coup sur coup de Leconte. Celle avec le compositeur Etienne Perruchon, rencontré à l'occasion de la représentation de "Leonce et Lena" et de son chœur de cent enfants, qui touche le réalisateur. Les deux hommes vont sympathiser et après remise de CD's, Leconte va carrément bloquer sur une suite musicale de 25 mn sobrement intitulée "Dogora".
Quelques mois plus tard, Leconte se rend au Cambodge pour y rencontrer son frère installé sur place. Il aura le coup de foudre pour ce pays (visiblement comme d'autres pour la Thaïlande, note personnelle) et associe l'extraordinaire ressenti sur place avec celui éprouvé à l'écoute du disque de Perruchon. Bouleversé, il rentre étudier la possibilité de réaliser un projet fou, unique, inédit: réaliser un film sans scénario, dialogues, ni comédiens, suite d'instantanés du Cambodge soulignés par la musique de Perruchon sans aucune consonance orientale.
Le résultat ? Une sorte de film-vacances par un homme du métier cinématographique, aux cadres superbes, épuré du côté trop personnel et des cadrages ratés, mais à l'intérêt franchement limité.
Primo: la musique omniprésente. Si vous n'accrochez pas avec la partition de Perruchon, vous êtes mal barré. Perso, j'ai eu un peu de mal. Quelques mouvements sympatoches, mais rien qui ne m'ait franchement fasciné. D'autre part, j'ai eu franchement eu beaucoup, beaucoup de mal dans l'association des images orientales (qui m'évoquent énormément de choses) et le style Europe de l'Est, voire prussien de la musique…J'adore les expérimentations, m'intéresse perso beaucoup à mixer des musiques anciennes avec les nouvelles technologies, mais cette association osée m'évoquait davantage le ratage culinaire de l'association d'une Noix St. Jacques avec de la fraise et du réglisse – par exemple.
Ensuite les images. S'il est curieux de voir le réalisateur des "Bronzés 3" s'attarder longuement sur la progression d'une coccinelle sur le guidon d'une mobylette en gros plan, beaucoup de choses finissent par lasser rapidement. Certes, Leconte évite le gros de clichés habituels, s'enfonce assez loin dans le pays par moments et réussit parfaitement à capter certaines ambiances particulières au Cambodge (et franchement distinctes de tout autre pays asiatique), mais ces moments sont plutôt rares. Peut-être que je suis trop "blasé" par mes propres voyages, expériences, ressentis; en même temps, le réalisateur recourt également à la facilité en mettant en scène des "séries" associées à la musique: Série paysages inondés, série bébé, série filles à vélo, série gens dans l'immense décharge à ciel ouvert,…et l'on sent l'homme (Leconte ? ou un pauvre stagiaire ?!!), courbé sur son banc de montage, à répertorier les dizaines d'heures de rushes selon des catégories précises pour ensuite les regrouper et coller à la suite les unes après les autres…
C'est "l'artisan", qui prendrait alors une nouvelle fois le dessus sur les bribes "d'auteur" que l'on devine parfois chez Leconte: plutôt que d'être allé au bout de son raisonnement d'homme bouleversé par l'explosion de bruits, d'odeurs et de sensations, on assiste à une énumération en règle pour ne pas trop égarer le spectateur lambda. Le tourbillon émotionnel se transforme du coup quand même en sage soirée photos, où les diapositives auraient été classées selon un ordre précis et établi, soit le voyage au jour le jour, soit selon des thèmes.
La peinture d'un élève de conservatoire appliqué, auquel manque la folie géniale d'un Picasso, qui éclaterait les schémas donnés pour rendre un vrai travail personnel – et c'est d'autant plus dommage, que Leconte revendiquait justement cette "folie" dans sa façon de tourner ni fiction, ni documentaire. On se contentera donc d'être content pour lui – mais préférez mettre votre argent de côté pour vous faire votre propre opinion…sur place.
Le Cambodge, brut.
Très bonne idée qu'à eu Patrice Leconte de faire un documentaire sans aucune histoire, sans aucun commentaire et aucune parole, uniquement accompagné d'un orchestre symphonique. "Dogora" est donc rythmé par la symphonie, qui permet avec les différents mouvements de donner une ambiance propre à chaque passage. Le documentaire est lui aussi très loin des reportages que l'on a l'habitude de voir, il est profondemment artistique. Chaque plan est travaillé avec beaucoup de soin, d'une beauté rare, afin de dégager au mieux les émotions du peuple cambodgien, tout en gardant la furtivité et la capture de l'instant présent, si éphémère. Les sentiments que l'on capte à travers les images, la nature, le Cambodge entier vient se loger directement dans notre coeur, sans aucun intermédiaire ni manipulation.
Aucun thème n'est abordé en particulier, c'est avant tout un regard sur la vie, les hommes, femmes et enfants d'un pays très méconnu encore aujourd'hui. Patrice Leconte filme donc le plus large tour d'horizon du Cambodge, de l'enchantement à la misère.
Selon moi, "Dogora" est un film à voir absolument. Il est à l'affiche en France acutellement, il n'y a donc pas meilleure occasion.