Ordell Robbie | 3.5 | I`m a loser, baby... |
Fablin | 4.25 | La fin d'une époque, le début d'un cinéma |
Ce long-métrage est intéressant, c'est le moins de le dire.
Tout d'abord, il peut se targuer de traiter d'un sujet politiquement engagé sur la société coréenne à une époque où la répression extrêmement violente muselait toute forme d'expression populaire et que la censure veillait au grain que le cinéma se contente de produire assez de film pour que les salles puissent respecter les quotas d'exposition des productions locales. Pourtant, la politique concernant le cinéma commençait à s'assouplir, le bureau de censure devenait un peu plus tolérant, et les cinéastes indépendants pouvaient désormais avoir accès à la distribution, ce qui permit la concrétisation de ce film, alors qu'il pourrait paraître pas si engagé que ça pour des yeux étrangers. Mais il suffit de garder à l'esprit le contexte d'un Etat autoritaire en fin de vie pour mesurer toute l'audace.
Park Kwang-su. Celui qui avait contesté le pouvoir en fondant le collectif Seoul Film qui réunissait les anciens étudiants de cinéma de la prestigieuse Université Nationale de Seoul, et donc très proches des mouvements de révoltes. Celui-là même qui fut le premier à se lancer dans l'aventure de la production indépendante dès que l'occasion se présenta. Ou encore celui qui devint la figure de proue du nouveau cinéma coréen, concerné socialement et politiquement engagé. Chilsu et Mansu est son premier film. Film à l'importance considérable donc dans l'histoire du cinéma coréen, d'autant plus que deux monstres sacrés du grand écran prennent ouvertement position : Ahn Seung-gi et Park Jong-hun.
L'histoire commence de façon très optimiste. Le film s'ouvre sur des images d'une Seoul moderne, active et développée (on reconnait quelques lieux célèbres de la capitale, mais bien plus bétonnés qu'aujourd'hui). Chilsu vit dans l'espoir d'émigrer vers la terre promise des Etats-Unis, lui qui vient d'une région qui vit de la présence militaire occidentale, et tout autour de lui rappelle son rêve : ses habits, les publicités qu'il peint, les jeux vidéo de course, ou encore le resto de fast-food où il rencontre d'ailleurs Ji-na, avec qui il entretiendra l'espoir de se marier. Il quitte son entreprise pour devenir un peintre indépendant avec Mansu. Pourtant, à l'image de ces exercices d'alerte à l'invasion du Nord qui bloquent tout le trafic durant un quart d'heure, cette liberté reste illusoire face à une société qui continue à les exclure. Si Chilsu a des origines liées à l'occupation américaine, Mansu, lui, est rejeté du fait de la condamnation de son père communiste. Deux origines opposés, et pourtant les deux partagent la même frustration de ne pas faire partie du miracle économique du pays.
On pourrait presque croire à un début de comédie romantique, mais on découvrira plus tard que Ji-na ne faisait que jouer avec Chilsu alors qu'elle est déjà fiancée. Ou bien encore une simple comédie, avec les tentatives pénibles de Chilsu de s'associer avec Mansu, ou encore avec Ahn Seung-gi se déguisant pour une nuit en peintre français. On pourrait même dire que leur amitié a des relents d'homosexualité inavouée avec certaines scènes très ambiguës. Mais c'est surtout un film social qui cache bien son jeu (les deux personnages ne veulent pas se battre contre le système) mais qui se révèle avec une fin presque absurde, lorsqu'ils peuvent enfin balancer un coup de gueule vers la ville du haut d'une énorme peinture publicitaire. Ceci sera pris par les passants et par la police pour un mouvement de grève de types prêts à sauter pour obtenir leur revendication, et prendra peu à peu de l'ampleur au point de devenir un véritable climax inattendu, presque précipité, mais qui montre encore mieux le décalage entre les désirs de la population et les réponses qu'on lui donne.
Il s'agit bel et bien d'un film emblématique d'espoir et qui a engagé le cinéma coréen vers la voie de la reconnaissance internationale.