drélium | 3.75 | Très beau mais un poil too much quand même... |
Ordell Robbie | 5 | une autre superbe dénonciation de la guerre par Ichikawa |
Xavier Chanoine | 4 | Se retrouver par le chant et la musique. |
Trois ans avant Feux dans la plaine, Kon Ichikawa se révélait sur la scène festivalière mondiale avec la Harpe de Birmanie où il offrait déjà au public un superbe film pacifiste.
Car ce n'est pas seulement parce que Mizushima va devenir un moine birman qu'il est question d'élévation dans le film. Car cette élévation se manifeste par le champ et la musique: les accords aériens de la harpe ainsi que surtout les chants déclamés à la manière de negro spirituals permettent aux personnages, quelle que soit leur nationalité, de se placer au dessus des rivalités guerrières, des atrocités qui les entourent pour voir en l'autre ce qu'il a de plus humain. Le chant est le moyen de communication privilégié entre les soldats, Mizushima, les Anglais ainsi que les autochtones. C'est un véritable choeur repris à l'unisson (ce "There's no place like homme" symbole de la nostalgie du pays natal et de ce paradis perdu qu'était la nature avant l guerre) par tous les personnages quelle que soit le camp où ils se trouvaient dans la guerre (cette vision chorale de l'armée sera poussée à l'extreme par la Ligne Rouge de Malick où l'idée de choeur se retrouve à travers la multiplication des voix off). Le perroquet joue également un role de passeur entre les soldats et Mizushima. Tout se passe comme si, en utilisant des intermédiaires, des médiateurs dans leur communication, les personnages pouvaient ainsi lever les rancoeurs, les reproches et les haines (notamment vis à vis des atrocités commises au nom de la nation japonaise durant la guerre) qui sont en théorie des obstacles infranchissables. L'idée de communauté se manifeste dans la volonté forte des soldats d'essayer de retrouver Mazushima et d'essayer de tout faire pour qu'il puisse revenir au Japon avec la troupe. Cet aspect humaniste est reforcé par la mise en scène: meme lorsque Mizushima contemple avec horreur le charnier guerrier, la caméra n'oublie pas de nous offrir de superbes plans panoramiques de la nature pour nous montrer que les personnages ont conscience de faire partie de la nature et de rejeter la guerre qui violente cette nature. Les multiples plans de l'horizon ensoleillé soulignent que les personnages communient avec les cieux et leur désir d'échapper à leur situation.
Un autre grand thème du film est la dénonciation de ce pillier de la nation japonaise qu'est le sacrifice. La médiation de Mizushima échouera car il se heurte à un discours militariste qui traite de laches les soldats ayant capitulé (donc insultent leur propre pays qui vient de déposer les armes) et prone l'obéissance aveugle à l'empereur. En réaction à cette vision, Mizushima se convertira au bouddhisme qui incarne des valeurs opposées à celles de l'empire japonais: générosité, moralité, compassion, découverte de soi. Le début du film où les soldats semblent dire que dans le cas de Mizushima l'habit fait le moine birman montre que dès la début ce dernier préférait déjà les valeurs de la Birmanie (dont un autre moine dira que ni le Japon ni l'Angleterre ne l'ont changé) à celles du Japon. Inoué de son coté pense à son retour au Japon (avec l'appréhension de découvrir un pays dévasté) et incarne la vision qui permettra au pays de se relever: la reconstruction du pays sur de nouvelles bases, de nouvelles valeurs permettront au Japon de regagner sa place dans le concert mondial des nations. A l'opposé, Mizushima choisira de rester car il refuse de voir ce que son pays est devenu et qu'il a trouvé en Birmanie une existence plus en accord avec son etre. Il veut aussi rester car il veut communier avec les soldats morts et se pose ainsi en rempart contre l'oubli de l'horreur de la guerre.
Ichikawa poursuivra cette dénonciation sur un ton plus documentaire et moins mystique avec le cruel et beau Feux dans la plaine.
Bien plus qu'un simple film humaniste à la beauté terrassante, La Harpe de Birmanie se démarque d'une génération de longs métrages nippons, période âge d'or, par son absence de teintes grises. Le métrage propose une photographie extraordinaire, à mes yeux supérieure aux travaux d'artisans de l'image comme Mizoguchi ou Kurosawa, créant cette fusion entre la noirceur de la guerre (les teintes noires) et l'espoir qui subsiste malgré tout (la lumière, la confession Bouddhique). Le but du film n'est pas non plus de propager ce sentiment d'anti-militarisme aigu, bien au contraire, la troupe nippone représente la solidarité et l'amitié et feront tout pour retrouver Mizushima, soldat sans grand pouvoir et charisme, mais "Homme" avant tout. L'utilisation du perroquet est aussi merveilleux et représente même l'élément central du film, aboutissant, grâce à lui, aux superbes retrouvailles avec le soldat devenu moine. Si la franchise des propos du cinéaste, naïfs peut-être mais réfléchis jusqu'au bout ne convient pas, La Harpe de Birmanie est une leçon de mise en scène, certains gros plans sur les visages tétanisés par la peur et le doute des soldats restent ancrés dans les mémoires pendant un bon bout de temps, une vraie science du cadrage et de la rigueur des cinéastes d'époque. Au final, si il n'est pas exempt de quelques longueurs, La Harpe de Birmanie est un grand film.