Un homme à abattre
Grand film nihiliste que l’on aurait du mal à imaginer dans nos timides contrées françaises, Le Cimetière de la morale s’inscrit dans un période très trouble et incertaine de l’Histoire du Japon, celle de l’après-guerre et de l’occupation américaine, celle de la pauvreté, de l’humiliation, des tensions nationalistes encore vives entre japonais vaincus et chinois ou coréens triomphants, celle surtout de la loi du plus fort où les yakuza tirent évidemment fort bien leur épingle du jeu. Pour illustrer ces années de tous les dangers, Fukasaku use d’ailleurs de tous les stratagèmes de réalisation jusqu’à frôler l’abus, avec des cadres penchés, du montage rapide en zoom x 10, des plans larges de foule hurlante, des colorisations d’image et un aspect documentaire revendiqué au détour de témoignages en voix off. Et parmi ce chaos total où tout semble permis, son regard se pose sur Ishikawa, un personnage véridique de yakuza bête et méchant qui ne respecte rien, et surtout pas une hiérarchie qu’il se fait un plaisir de bousculer à grands coups de couteaux.
Son parcours, qui va creshendo dans l’immoralité, ressemble un peu à celui d’un certain Roberto Succo dont la cavale meurtrière insaisissable sans autre mobile que de se faire plaisir en agressant, violant et tuant avait défrayé la chronique (d’ailleurs l’issue fatale des 2 zigotos se ressemble étrangement…). Et ce parcours qui semble aussi absurde que désespéré est riche en interprétations : le sens de la vie et l’importance toute relative des actes qu’on accomplit, son rôle dans la société, ce étonnant paradoxe nippon des extrêmes, d’un peuple capable de se battre jusqu’à l’apocalypse puis d’accepter subitement la domination américaine sans broncher, ou de cette femme violée qui hurle sa douleur mais qui réchauffe son violeur dans ses bras quelques jours après parce qu’il est blessé… Ishikawa le misanthrope, seulement accompagné d’un drogué abruti, balaye tout çà d’un revers de la main et fait simplement ce qui lui passe par la tête tout en osant graver sur sa tombe « honneur et humanité »… Ca fait froid dans le dos, mais c’est au final un excellent film, l’un des plus aboutis de son auteur.
Evangile du Fou
Le Cimetière de la Morale est un sommet du yakuza eiga selon Fukasaku car peu de films ont cet effet aussi viscéral sur le spectateur auquel le film ne laisse que peu de répit, son délire visuel cherchant constamment à se faire l'écho de la folie et de la déchéance de son personnage principal, véritable rebut de la société tout en étant l'incarnation du Japon de son temps, un "survivant" qui n'en finit pas de mourir tout le long du film. De caméras à l'épaule rendant la confusion des bagarres à des scènes d'action aux délirants téléobjectifs, des ralentis aux cadrages penchés en passant de l'usage de filtres chromatiques et de noir et blanc dans les scènes extérieures au processus de déchéance du récit principal, du début du film croisant photos noir et blanc et interviews quasi-documentaires en voix off afin de retracer les jeunes années du yakuza aux arrets sur image soulignant la violence, la mise en scène n'abandonne pas d'une semelle le "héros" y compris dans ses pérégrinations de junkie et ses tentatives pathétiques de réintégrer le monde des yakuzas ayant gardé le sens de l'honneur.
Si Fukasaku défend son personnage par caméra interposée, c'est que ce dernier est l'incarnation de la face cachée que le Japon a voulu oublier avec le miracle économique, un héritier de la barbarie militaire, du marché noir d'après-guerre, du monde interlope des droguées et de la prostitution, d'une époque où un Parrain pouvait sans problème se présenter à des élections, où politique et mafia étaient intimement liées. A l'instar de cette époque dont les stigmates sont encore visibles dans le Japon contemporain selon Fukasaku, ce gangster buté et grotesque, incontrolable semble invincible malgré les chargeurs vidés sur lui et les coups de sabre assénés -parallèle entre la figure du vagabond yakuza et celle du ronin solitaire peut-être- SPOILER et meme lorsqu'il se donne la mort au final ce n'en est pas vraiment une vu que sa "légende" sulfureuse défraiera à jamais la chronique de l'histoire des gangs FIN DU SPOILER. Le film comporte également des observations sur la complicité entre la mafia nipponne et les forces occupantes, sur le racisme réciproque entre Japonais et Coréens et entre Japonais et Chinois.
Festival d'audaces visuelles, intinéraire intime, film en état de grace où le brouillon en apparence est en fait style, commentaire social faisant écho à la Nouvelle Vague nipponne contribuent à faire du Cimetière de la Morale LE sommet de Fukasaku et un beau bijou du cinéma populaire japonais, un must see.
Un bon Fukasaku, violent et social.
Fukasaku aime dépeindre son pays. Y en extraire les moindres qualités et défauts, les extirper de telle façon à les rendre tout aussi grotesques et pathétiques, dans un contexte social anarchiste et laissé à l'abandon. C'est simple, les yakuza de son Cimetière de la morale (quel titre!) sont tous sans exception pathétiques du début à la fin. Ca se charcute pour un rien, ça se coupe une phalange après avoir fondu en larme devant son boss, recroquevillé dans une position de soumission ultime tout en implorant des "gomen nasai" à n'en plus finir. L'image du Yakuza en prend un sacré coup. De plus, on parlait de cette société laissée à la dérive; pas de doute ici, on se croirait en pleine guerre urbaine. Les rues sont dégueulasses, la misère sociale est immense, on le sent, on le voit. Chacun se rallie à tel ou tel clan pour retrouver un semblant d'honneur dans cet immense désert chaotique, abysse de l'espoir.
Parfaitement bien ancré dans son époque (années 40-50), ce Japon d'après-guerre fait peine à voir. Les hommes sont tous obsédés par le sexe, l'argent et les femmes. Le film démarre d'ailleurs en trombe avec une séquence d'orgie hallucinante, où des yakuza s'en donnent à coeur joie dans un bain d'alcool, de femmes à moitié dénudées, recouverts par des billets qui leur tombent sur la tronche. Le tout, filmé dans une hystérie totale. La caméra virevolte dans tous les sens, zoom, dé-zoom, structure, déstructure l'espace avec maestria, tout en variant ses plans, Fukasaku livre alors l'une de ses plus belles créations, fruit d'un style ici à son apogée. Pas de doute, Fukasaku est un grand. Simplement, si je n'ai pas "totalement" accroché à son Cimetière de la morale, c'est pour une raison purement subjective. En effet, je préfère nettement les gangsters d'un autre grand maître, Seijun Suzuki. Disons que, Fukusaku c'est un peu le double de Suzuki dans un registre beaucoup plus noir et cru. Le style est souvent identique, à savoir des grosses bagarres sous une musique pop, des hurlements à n'en plus finir, des coups en traître et des histoires souvent très colorées. Seijun Suzuki lui, dans une optique visiblement identique (yakuza-ci, yakuza-ça) manie l'ensemble de manière plus théâtralisée, colorée et comico-ridicule. Jo Shishido c'est un peu le Tetsuya Watari de Fukasaku : un grand bagarreur, relax, lunettes noires. Gaffeur et Bondien chez l'un (Suzuki), tâche et vicelard chez l'autre (Fukasaku), mais dans l'ensemble leur portrait est identique.
Si Le cimetière de la morale ne m'a pas accroché, ce n'est pas parce qu'il est mauvais, loin de là. C'est même un excellent yakuza eiga distillant ça et là quelques savoureux clins d'oeil au même cinéma de Fukasaku (ou alors manque de renouvellement dans le style, c'est à voir?). Mais dans un style proche, je préfère me payer une bonne tranche de rigolade devant le cinéma de Suzuki qui reste à mon avis esthétiquement et thématiquement supérieur à celui de Fukasaku, dans la mesure où il se renouvelle sans cesse, tout en apportant une dimension supérieure au genre. Le Cimetière de la morale n'est qu'un calque -réussi certes- de Combat sans code d'honneur. Les teintes sont identiques, les histoires à peu près dans la même veine et l'interprétation toujours aussi forte. De plus, j'ai moyennement apprécié la façon dont sont traités les Chinois, Fukasaku disposant d'un regard trop complaisant face à leurs humiliations (la scène dans la prison, ma foi inutile), n'hésitant pas à les insulter copieusement (suceurs de yankees, amerloques, etc...). Un peu de retenu -politique- n'aurait sûrement pas été de trop. Allé, on ne va pas faire la fine bouche sur ce spectacle gore et délirant, c'est bien pour ça qu'on l'aime nous ce Fukasaku, hein?
Esthétique : 4/5 - La mise en scène est impressionnante. Musique : 4/5 - Un thème minimaliste à la guitare sèche, particulièrement bon. Interprétation : 3.5/5 - Juste, tout en étant gonflante (Gros boss pas content contre petit yakuza soumis) Scénario : 3.5/5 - Un scénario bien foutu, mais manquant sacrément d'originalité.
Morale à zero
Tout a été écrit ou presque dans les précédentes critiques...
LE chef-d'oeuvre de Fukasaku, culminant tous ses thèmes de predilection (Japon de l'après-guerre et ses conséquences = occupation sino-américaine, rejet des idéologies durant la guerre et négation des soldats s'y étant battus; décadence et débauches dans un pays dévasté; décortication du genre yakuza, ...) en se jouant de tous les codes définis.
Fukasaku a dû énormement refléchir au genre du yakuza eiga pour arriver à un tel résultat. De par ses précedentes réalisations, l'on peut affirmer, qu'il maîtrisait parfaitement le style; il connaissait tous les codes sur le bout de ses doigts et peut donc passer à la vitesse supérieure, où il explose ces-dits codes, fait voler en éclats un genre pour ne mieux que se l'approprier et y inclure tout ce qui lui est personnel. Admirable !
Il met ainsi en parallèle l'organisation parfaite, la "grande famille" des clans yakuzas parfaitement organisée et rapproche ce modèle au Japon tel qu'il devrait être (un pays gouverné par un homme pour lequel tous les citoyens se dévouent et le défendraient jusque par leur propre mort; une véritable patrie utopiste) avec un "électron libre", un yakuza faisant fi de tout code d'honneur pour sèmer la pagaille au sein même de cette organisation (caractéristique du véritable Japon de l'après-guerre). Cette représentation n'est pas innocente et ne symbolise pas uniquement un "pays en roue libre", mais le chaos absolu. Ishikawa va petit à petit perdre tout sens de morale : il boit, se bagarre, vole, tue, se drogue, viole, s'oppose à l'autorité (familiale et de l'Etat), etc, etc, etc. Le titre pend ainsi son premier sens : toute morale est "enterrée".
En filigrane, Fukasaku triate beaucoup de ses thèmes obsessionnels, des choses qu'il n'ait jamais pu comprendre ou du mal à admettre : le comportement odieux des occupants (les chinois pillant le pays; les américains "foulant" de leurs pieds les maisons = ne respectant aucunement les us et coutumes d'un pays envahi), mais également le rejet pur et simple d'un passé certes peu glorieux, mais ayant bien existé (la participation à la guerre des japonais). En cela, la toute fin est très évocatrice : le suicide du héros renvoie directement aux attatques kamikazes des pilotes japonais - sauf que si les japonais refutent l'existence des kamikazes, ils feront rentrer Ishikawa dans la légende...
Le film est bien trop riche en détails, en métaphores et double-sens pour les traiter à travers une petite critique et chacun pourra y lire diverses interprétations.
Quant à la mise en scène, elle constitue en elle-même une petite révolution annonçant avec 25 ans d'avance des prcédés qu'on disait "new" et "hype" quand ils n'étaient que recyclés dans les films de tarantino et Baz Luhrmann (arrêt sur image et insert d'un inter-titre sur un protagoniste). Le code narratif des couleurs est de toute beauté et utilisé à bien meilleur escient que dans les films de Soderbergh de nos jours...Quant à la mise en scène, elle est de toute beauté, usant et abusant de la caméra d'épaule et de quelques zooms, mais jamais à titre gratuit (comme souvent dans les films des années '70s), mais mûrement refléchi.
N'empêche qu'une grande source d'interprétation se devait la filmographie d'un Seijun Suzuki, tant a été rendu hommage à certaines de ses idées de mise en scène (décadrages, angles obliques, ...), des procédes narratifs et de l'utilisation de la violence. Mais Fukasaku ne fait pas copier, mais de s'approprier d'exercises de style brillamment transformées en quelque chose de très personnel.
Quant à la gravure de la pierre tombale, il est certain qu'Ishikawa était tout à fait conscient de tout ce qu'il faisait et qu'au contraire, il devait avoir un sacré code moral intérieur, mais qu'il transgressait à tour de bras pour aller dans le sens de son style de vie : "vivre vite et intense". Quant à l'humanité, il devait très certainement s'agir un hommage à sa femme, seule personne peu soucieuse des actions d'un homme, mais capable de voir au-délà et de faire ressentir le meilleur d'une personne...
Fukasaku se déchaîne
Le Cimetière de la Morale représente l'aboutissement du style Fukasaku: la mise en scène, on ne peut plus foutraque, se caractérise ici par des plans renversés, des mouvements de caméra totalement hasardeux et des prises de vues à déconseiller aux agoraphobes, alors que la photographie bascule régulièrement dans le noir/blanc aux filtres marron ou bleutés à choix, à la manière d'un film muet des années 20. Un gros bordel visuel charpentant toute l'originalité d'un cinéaste prolifique dont les « seventies » demeureront quoi qu'il en soit le sommet de sa carrière. L'histoire est celle d'un yakuza qui sombre dans la délinquance et le non-respect des codes d'honneur de son milieu, après avoir blessé au couteau son propre chef le battant en raison de son excessive brutalité et de ses pulsions de chien fou incontrôlable. Être ne pouvant contenir toute la violence et la haine qui explose en lui, Ishikawa tabasse, viole ou tue comme il respire, peu importe la façon dont il opère (revolver, couteau, tesson de bouteille); incapable de s'intégrer dans un quelconque clan, incapable de ne pas faire gicler le sang, il se renferme de plus en plus sur lui et finit par se mettre tout le monde à dos. Sa morale, il l'a enterrée dans le cimetière du titre. Pourtant, le sujet confine au fantastique lorsqu'on découvre qu'Ishikawa se révèle pratiquement invincible: emprisonné à maintes reprises, il parvient toujours a être relâché dans les meilleures conséquences, ayant trahi son propre clan, il se retrouve caché et protégé par celui adverse – avant d'amocher au couteau le chef de ce dernier pour un petit reproche qu'il lui avait adressé et de repartir comme si de rien n'était –, son ancien patron qu'il avait mutilé accepte de lui offrir un terrain mais Ishikawa abuse de la situation en en réclamant encore davantage, réduit en bouillie sanglante sous les maladroits coups de sabres de petits minables pour qui sa méchanceté n'avait pas été de bon goût, il survit. Fukasaku dépeint ce mauvais yakuza comme une sorte de héros pestilentiel que rien n'arrête et qui trouve toujours l'occasion de s'en sortir. Ce qui frappe en outre dans
Le Cimetière de la Morale, ce sont ces éclairs de violence graphique digne d'un film gore, où la brutalité expéditive se mêle aux jets d'hémoglobine dans une esthétique proche du « cartoonesque ». Coups de feu, coups de sabre et coups de couteau vont souvent plus vite que les paroles chez Fukasaku. Polar à la fois nihiliste, absurde, stylisé et ultra-violent,
Le Cimetière de la Morale s'impose comme la pièce la plus couillue de son auteur et laisse durablement perplexe après visionnage. Moins une critique de la société nippone de l'après-guerre qu'un portrait décalé d'un homme perdu dans les rouages de sa rébellion, il se veut d'une certaine manière le cousin difforme de
Combat sans code d'honneur, autre film majeur de Fukasaku sorti deux ans auparavant.
je comprends pas bien la réputation de ce film, certes pas mauvais mais plein de défauts quand même: souvent c'est trop rapide, les acteurs ne sont pas exceptionnels mais FUKASAKU ne leur laisse pas nonplus beaucoup de place pour s'exprimer. classique et efficace tout de même
Sommet de la Fukasaku's touch et portrait au vitriol d'une société gangrénée par la violence et le désespoir!
Il y a beaucoup de choses dans ce Cimetière de la morale, plein de belles choses, une concentration qui porte à un niveau encore supérieur les fulgurances d'un Combat sans code d'honneur.
Pourtant, le cimetière de la morale est plus linéaire, moins foisonnant et baroque que les Combats sans code d'honneur. On suit jusqu'à la fin la dérive du personnage de Watari Tatsuya, sa dérive dans la folie de plus en plus profonde et c'est de là que vient toute la puissance du film. Plus concentré, plus ramassé, le film porte au point d'incandescence toute la force latente dans le cinéma de Fukasaku.
Ce qui frappe dans le style de Fukasaku, c'est la parfaite cohérence des moyens employés avec la personnalité de ses héros: rageurs, fous, cyniques et brutaux. L'adhésion extrême du réalisateur au personnage d'Ishikawa est hallucinante, et va bien au delà de l'empathie ou de la simple sympathie. Le cinéma selon Fukasaku est basée sur les personnages et comment faire transparaître par des moyens formels leur personnalité, leur énergie, leur démence. Parce que le style de Cimetière de la morale est le plus concentré dans les films de Fukasaku, il est le plus parfait. Il traduit à merveille le parcours d'un être hanté par la violence de son époque, éperdu de liberté jusqu'au désespoir.
Un des meilleurs films de Kinji Fukasaku
Il est passionnant de suivre le parcours de ce yakuza qui ne veut pas suivre les règles.
Maitrisé de bout en bout, on peut presque qualifier ce film de chef-d'oeuvre.
Un modèle de film de Yakuza particulièrement barré !
Requiem for a Yakuza
30 ans de vie, 30 ans de bordel... Un personnage incompréhensible (très bonne interprétation de Tetsuya Watari), rebelle et indomptable jusqu'au bout. Bien qu'il s'agisse d'un film de studio à l'équipe et au budget semblables aus autres films de l'époque, c'est la matière du sujet et les extravagances de mise en scène qui donne au
cimetière de la morale toute sa force et sa démesure malsaine. Impitoyable.
VISION DU JAPON DE L'APRES GUERRE
Fukasaku a été redécouvert en occident tardivement avec son "battle royale", un de ses plus mauvais films pourtant.
Je sais que beaucoup de personnes aiment ce film,mais en regard des films des années 70 du meme réalisateur ,"BR"
ne tient pas un seul instant la route.
"Le cimetierre de la morale" est a juste titre considéré comme un de ses meilleurs films, si ce n'est LE meilleur.
Il faut cependant essayer de le comprendre réellement.
En effet, Fukasaku a la réputation d'etre le maitre du film de yakusa.. Dans l'absolu, "le cimetierre de la morale" en est un.
Mais il n'emprunte a ce genre que la figure du yakusa et ses conventions.
Je dirais meme plus, ce film est au film de yakusa ce que "Yojimbo" est au chambara.
Ce n'en est pas un "typique" mais ce n'est pas non plus une parodie; c'est plutot une version cynique et désabusée d'une sorte de folklore de genre.
Car oui,le film de yakusa a son "folklore" et ses rites codifiés: c'est ce que les japonais appellent un "jitsuroku"
on a tous en tete un code d'honneur immuable du gangster,une sacro-sainte loyauté du gangster envers son chef...
C'est exactement cela que Fukasaku récuse.
La guerre a profondément bouleversé la société japonaise.Le pays rentre alors dans le chaos; l'honneur a fait place a un instinct plus bas chez l'homme: la survie.
Ainsi a la solidarité va s'opposer très rapidement un individualisme forcené.
Dès lors, Fukasaku, pur produit de cette génération "sacrifiée" de l'après guerre, va vouloir filmer une sorte de "radiographie" de son pays en crise.
Il va alors le faire par le biais du film de genre,et,plus précisément donc, du film de yakusa.
"le cimetierre de la morale" est un chef d'oeuvre nihiliste dévastateur.
Nihiliste,car jamais on était allé aussi loin dans la critique frontale de la société au japon.
Nihiliste aussi dans sa réalisation; Fukasaku imprime dans nos rétines une energie, une folie démentielle, dans un style outré jubilatoire.
La frontiere du tape-a-l'oeil n'est jamais très loin, cependant Fukasaku ne nous abreuve pas jusqu'a plus soif d'effets faciles.
Au contraire, si la violence est exagérément outrée,elle a un sens (c'est ce qui sépare ce film de toutes les putasseries actuelles faussement rebelles)...
Le sang qui gicle des corps est ici une allégorie de la putréfaction qui séchappe du corps gisant du Japon; la violence se fait catharsique.
"le cimetierre de la morale" est un film jusqu'au-boutiste et surtout véritablement révolutionnaire, dans le sens ou il poursuit un but, celui de pleurer la mort du "jingi", c'est
a dire du code de l'honneur.
Que l'on ne me dise pas que ce film ressemble a quoi que ce soit d'autre qui est venu après.C'est faux.
"Battle royale" a le meme esprit anarchiste, mais il est suffisant et vain (pour la premiere fois, Fukasaku tombe dans la facilité et la satire tape-a-l'oeil)
"fight club"?Laissez tomber ce pseudo pensum MTV.
Après,la violence perdra de sa force catharsique, elle deviendra systèmique et machinale chez woo et en amerique, elle deviendra dépersonnalisée et vidée de sa force évocatrice
chez Kitano.....
Décidement,l'heure n'est plus a la rebellion, mais au SIMULACRE de rebellion au cinéma.
"Le cimetierre de la morale", ou la vision nihiliste du Japon de l'après guerre.
un regard sans concession sur un mal-être oublié, l'autopsie passionnée d'une folie préparée, la déchéance psychologique en harmonie avec le tableau, une oeuvre d'art incarnée et sombre, un chef d'oeuvre absolu.
Un bel après-midi des 70's, Fukasaku Kinji a une idée osée: réaliser l'antithèse parfaite du "Manège enchanté". Ca donne "Cimetière de la morale", dont le titre ne va pas sans rappeler euuuh... eh bien tout ce qui n'est pas peinard!
Fukasaku est un des plus grands réalisateurs japonais de la nouvelle vague avec Suzuki et quelques autres petits chanceux. Il le prouve une fois de plus avec celui-ci, un de ses meilleurs films, réalisé au jugé, à coup de décadrages, de ralentis spacieux, de caméras à l'épaule et tutti quanti. Son héros porte toujours des lunettes noires, ses scènes de boîte sont toujours saisissantes d'électricité (pour l'époque), ses arrêts sur image toujours aussi bien placés. A chaque film, Fukasaku change un poil de style, expérimente. Là, comme il savait qu'il allait faire un film sombre, il a filmé sombre: 95% des plans ne sont pas en grand angle, le ciel est quelque part, on le sent, mais on ne le voit pas, peut-être est-il au dessus de la poussière d'après-guerre semblant vouloir en finir avec ce pays dévasté.
Car une chose est clair: dans "Cimetière de la morale", la lumière fût bien un jour, mais il y a perpète, au sens propre comme au sens figuré. Toute l'injustice pourtant prévisible, toute la souffrance d'un candidat sacrifié (Ishikawa), toute l'impuissance de ces pauvres clans paumés, tout le malheur de Chieko, la jeune fille semblant mourir d'amour, tout est à l'écran, tout est palpable, sans le vernis consensuel du cinéma "habituel". Et le pire est que sous cette couche d'incompréhension, de refoulements, de misère, on sent l'intelligence du point de vue attendri; on sent que tout cela fût, un jour, et continuera d'être, pour toujours, malgré le fait que cette histoire est bien ancrée dans une époque bouleversée. En cela, "Cimetière de la morale" est un grand film pessimiste, jusque dans sa musique, à se faire seppuku.
Les acteurs, comme d'habitude dans le cinéma de Fukasaku, sont impeccables. Le héros, dont le personnage peut agacer au début, finit par déboussoler; on a parfois envie de la voir crever, puis on finit par s'y attacher, puis on se dit qu'il va mourir, puis on pense qu'il va vivre, tandis que lui implose tout le long du film, véritable incarnation de la "fureur de vivre" et de l'incommunication rongeant l'âme, fléau de l'humanité. On passe donc d'une humeur à une autre, tout en sentant peser le poids du drame sur l'ensemble de l'oeuvre, car si tout cela est bien sombre, l'espoir se fait, de temps en temps, l'avocat de cette mascarade: les yakuzas, bien loins de ceux made in Kitano, n'ont rien de barbares sanguinaires et font presque tâche avec l'atmosphère de fureur caractéristique de cette ère; et l'héroïne, l'unique amour de Ishikawa, de part son visage, son jeu, son rôle, les quelques mots qu'elle prononce, le symbole de cet espoir; ***SPOILER*** sa mort, mise terriblement en valeur par la caméra virtuose du Fukasaku, est en cela parfaitement dramatique ***FIN SPOILER***. Car Fukasaku sait, comme tous les grands metteurs en scène, que les contrastes font l'émotion, et que la joie au milieu du malheur sera toujours plus efficace que la joie au milieu de la joie.
Les plans sur le ballon rose, magnifiques, transcendent la détresse, et procurent une "émotion aux effets secondaire durables", pour le tourner dignement.
Tout comme la scène ou Ishikawa ***SPOILER*** ronge les os de Chieko, symbole terrible de l'amour absolu et de la rédemption. Encore une scène-culte, derrière sa logique terrifiante.***FIN SPOILER***
Ces scènes, débarassées du statisme théâtral de la nouvelle vague frenchie ou du syndrôme de braves gars du cinéma Hollywoodien (même si à l'époque ça allait mieux qu'aujourd'hui), SONT l'humanité, SONT le mariage de l'art et de l'âme, FONT qu'un film traverse les temps envers et contre tout.
Que dire de plus... plus on regarde de films de Fukasaku, plus on comprend comment le cinéaste a pu inspirer des cinéastes comme Scorsese, Kitano et Tarantino.
Entre autre.
Avec beaucoup de rage
Le Japon d'après guerre marqua à jamais la plupart des réalisateurs japonais. D'où leur fascination pour le KO. Kinji Fukasaku fait parti de ceux là.
"Le cimetierre de la morale" est un veritable coup de poing réalisé avec beaucoup de rage. Fukasaku ne laisse absolument aucun espoir à son personnage principal (Un yakuza complèment déjanté).
La progressive (et evidente) descente aux enfers de Rikio sera brutale.
Grand film.