| Quand on compare votre biographie et les personnages 
              de LA FEMME EST L’AVENIR DE l’HOMME (un cinéaste 
              qui revient des Etats-Unis et un professeur en art), on remarque 
              qu’ils racontent un peu deux époques de votre vie. | 
           
            | Quand j’imagine un personnage, je pense 
              à trois ou quatre modèles de gens. Bien sûr, 
              cela vient aussi de l’acteur lui-même. Le résultat 
              est une combinaison de lui, moi et ces modèles, qui convergent 
              en un personnage. Evidemment, dans un de ces modèles, parce 
              que je l’ai écrit, il y a beaucoup de moi. Cela dépend 
              des films, certains montrent plus de moi, mais pour celui-ci, honnêtement, 
              il m’est difficile de dire qu’il est plus autobiographique, 
              peut être dans quelques années je le saurais. Je ne 
              suis qu’un des modèles. Le plus important est comment 
              je choisis certains aspects. C’est ce processus de choix qui 
              montre ce que je suis. Pas les détails eux mêmes, mais 
              comment je les arrange. Ceci dit, comme vous le dites, ce type qui 
              revient des Etats-Unis, ce professeur, ces détails viennent 
              de moi. | 
           
            | Quand vous commencez un film, avez vous un 
              vrai scénario ? | 
           
            | Je commence avec un « traitement », 
              entre 20 et 40 pages avec le déroulé de l’histoire, 
              les actions majeures et quelques dialogues. Je sais que ce n’est 
              pas complet. Durant le processus, je vais avoir plus d’informations. 
              Chaque matin, j’écris quelques pages de scénario. 
              Je tourne habituellement deux ou trois scènes par jour. Je 
              mets des choses nouvelles, j’ajoute les dialogues. Cela me 
              prend 40 minutes, parfois une heure. Je distribue cela à 
              l’équipe. Ensuite on répète avec les 
              acteurs pendant environ 30 minutes. Puis on commence à tourner. | 
           
            | C’est très rapide ! Vous 
              réfléchissez la nuit, ou c’est selon l’humeur? | 
           
            | Je ne pense pas au tournage du lendemain. 
              Quand j’arrive sur le plateau, j’essaie de ne pas trop 
              penser par avance, mais plutôt de sentir, d’écouter. 
              Je bois avec les gens, on discute, je laisse les choses venir à 
              moi et je les rassemble. Il y a pleins de choses à voir. 
              Peut être que le temps est différend de celui auquel 
              je m’attendais, des enfants jouent là et pourraient 
              être dans le film, l’acteur a une humeur différente 
              de la veille. Je m’assois et décide quoi utiliser. 
              It’s very fun ! | 
           
            | Vous travaillez avec des techniciens réputés. 
              Ils doivent être réactifs pour changer ainsi en permanence ? | 
           
            | Oui, ce sont de grands professionnels, dont 
              certains qui ont déjà travaillé avec moi. Au 
              début, ils ont besoin d’un peu de temps pour s’adapter 
              à mon style, mais, jusqu’ici, la plupart m’ont 
              dit qu’ils aimaient bien. C’est frais, ils prennent 
              goût à cette façon de faire. | 
           
            | Comment obtenez vous un tel naturel avec vos 
              acteurs ? | 
           
            | Je travaille la création du personnage 
              avec les acteurs. Dans le traitement, bien sûr c’est 
              une approximation, je peux avoir disons 40% du personnage de fait. 
              Quand je prend l’acteur pour ce rôle, dans ce choix 
              il y a déjà, mettons, 30%. Je vois des qualités 
              dans sa personne. Après avoir fait ma décision, je 
              bois avec lui, on marche, on parle, je lui raconte des histoires, 
              il me parle de son passé. J’obtient des images de lui, 
              cela peut être faux mais ce n’est pas grave, du moment 
              que j’ai une impression forte. Ce que j’ai de l’acteur 
              et de ce qui vient du traitement convergent, on a environ 80%. Et 
              le jour du tournage, je tente des improvisations, c’est 20%. 
              Ce n’est pas comme des idées fixes, c’est un 
              processus, étape par étape. | 
           
            | La séquence du repas est incroyablement 
              naturelle, c’est exactement comme cela que cela se passe, 
              jusqu’au bourré qui s’allonge sur le canapé... | 
           
            | C’est le résultat de ce processus. 
              J’ai besoin de bien connaître mes acteurs. S’il 
              fait quelque chose de mauvais, je sais comment le lui dire et lui 
              a besoin d’avoir confiance en moi. Si c’est une scène 
              de boisson, je les laisse boire un petit peu, car je ne crois pas 
              que les gens peuvent réellement jouer quand ils sont ivres. 
              Cela dépend des gens, combien ils peuvent boire avant d’être 
              ivres, je contrôle cela. Si le plan se passe dans un salon, 
              j’aménage un petit endroit ici (il dessine le salon) 
              où on s’installe, on boit, on répète 
              les dialogues, les expressions, puis je les amène sur le 
              plateau. | 
           
            | Donc tout est déjà là 
              quand vous tournez. | 
           
            | Oui. | 
           
            | Les scènes de sexe, nombreuses dans 
              vos films, sont elles difficiles à tourner pour vous ? | 
           
            | Ce n’est pas aussi difficile que les 
              gens pensent. Bien sûr cela a été dur pour l’actrice, 
              mais comme elle est sérieuse et sincère, il n’y 
              a pas eu de problème. | 
           
            | Justement, pourquoi ce choix de Sung Hyun-ah, 
              qui est une ancienne miss Corée, je crois ? | 
           
            | Je ne m’intéresse pas à 
              ce que les acteurs ont fait dans le passé. J’essaie 
              de sentir quelle personne ils sont, car c’est le matériau 
              dont j’ai besoin, pas de ses compétences. Ce qui est 
              important est aussi sa volonté de choses nouvelles, d’aller 
              au delà de ce qu’il a déjà fait. Et bien 
              sûr, je fais aussi attention à comment ils s’entendent 
              entre eux. Je ne peux pas généraliser, je parie, personne 
              ne peut donner de garantie. | 
           
            | Au café devant ses étudiants, 
              Munho dit quelque chose comme « plus on apprend, moins 
              on en sait ». Est-ce aussi votre sentiment ? | 
           
            | C’est avant tout le dialogue de Munho, 
              qui lui convient, je ne l’utilise pas comme un porte parole. 
              Mais cela représente partiellement ma pensée. Comment 
              dire... Nous sommes entraînés, ou notre esprit fonctionne 
              comme cela, pour aller vers les définitions les plus simples 
              des choses. Nous avons une tendance à juger trop vite, nous 
              n’avons pas assez de temps. Par exemple (il dessine deux cercles), 
              je suis ici, cette personne est là. Elle fait une action, 
              je m’engage vers elle (il trace un trait entre les cercles) 
              mais de par derrière moi, quelque chose vient entre nous 
              (une flèche vient couper la ligne). Cela peut être 
              des idéaux, des idéologies, de la morale, c’est 
              toujours des idées très polarisées (il trace 
              une ligne bloquée par deux traits), divisées en bon/mauvais, 
              fidèle/infidèle, beau/laid. Alors je vois l’action 
              de cette personne en face de moi et je sens que je dois prendre 
              une décision : je la verrai soit comme une bonne action, 
              soit une mauvaise. On est forcé à faire des jugements. 
              Mais ce qu’elle a fait n’est pas « bon » 
              ou mauvais ». Elle est toujours ici ou là (il 
              fait des marques entre ses deux traits, comme dans Donnie Darko !) 
              et elle bouge de là à là, cela change tout 
              le temps... Il est mieux d’interpréter une action en 
              sentant tous les détails. L’être humain ne peut 
              pas échapper au fait d’être parfois un juge, 
              mais il faut repousser cette décision aussi longtemps qu’on 
              peut, pour qu’elle soit plus proche des faits, comme si plusieurs 
              « et si, et si.... » suivaient. Pour revenir 
              à Munho, peut être disait-il : « Quoi 
              nous pensons savoir, soyons plus réalistes ». | 
           
            |  
                
                   
                    |  |   
                    |  Hong Sang-Soo 
                        sur le tournage de "La femme est l'avenir de l'homme" |  | 
           
            | Vous montrez des femmes que les hommes n’arrivent 
              pas à comprendre, mais le film, lui, épouse leurs 
              changements d’humeur, leurs contradictions. C’est très 
              sensible dans ce dernier film ou dans la La vierge mise à 
              nu par ses prétendants. Parfois, ne vous sentez-vous pas 
              plus proche d’un esprit féminin? | 
           
            | Parfois on me dit : « Vous 
              connaissez très bien les femmes ». Des femmes 
              sont surprises que je sache certaines choses. Je réponds : 
              probablement que je les vois juste comme des êtres humains ! 
              Peut être que les hommes, en face des femmes, veulent avoir 
              des postures, ils ont un désir trop fort, Ils sont trop occupés 
              à ça, alors que si vous vous asseyez et regardez, 
              vous constatez que plus de 90% est pareil ! En tous cas, quand 
              je créé un personnage féminin, je le fais de 
              la même façon que pour un homme. | 
           
            | La femme qui est donc « l’avenir 
              de l’homme ». Question rituelle pour vos films : 
              d’où vient ce titre ? | 
           
            | Quand j’ai lu pour la première 
              fois cette phrase dans un poème d’Aragon, à 
              Paris, je ne sais pas pourquoi, je l’ai aimée de suite. 
              La première raison est peut être que ces deux hommes 
              vivent dans le présent, ils parlent d’une femme du 
              passé, mais toujours « présente » 
              dans leur mémoire. Ils boivent puis vont à sa rencontre, 
              c’est l’avenir. Au début, elle était du 
              passé, elle passe par le présent puis est dans le 
              futur. Une raison plus importante est que j’aime ces mots 
              très forts : « homme, femme, avenir ». 
              Mais ça n’a pas de sens concrètement, je répète 
              la phrase et je ne vois pas ce qu’elle veut dire... | 
           
            | Par définition, l’avenir, on ne 
              sait pas ce que c’est. | 
           
            | Exactement ! L’avenir, pour moi, 
              c’est comme en chinois : les caractères veulent 
              dire « pas encore » et « à venir », 
              donc c’est « qui n’est pas encore advenu », 
              donc ça n’existe pas d’un point de vue présent, 
              c’est « rien ». Donc « l’avenir 
              de l’homme », c’est « l’homme » 
              égale « ça n’existe pas », 
              et donc la femme n’est « rien » ! 
              Cette phrase n’a aucun sens, je l’aime bien. Ce film 
              est fait d’épisodes très concrets, mais cela 
              ne donne aucun message, comme ces mots. C’est à vous 
              de vous faire votre idée. | 
           
            | Deux phrases semblent pourtant, pour la première 
              fois dans vos films, des messages d’Hong Sang-soo parlant 
              à la société coréenne : « Les 
              coréens aiment trop le sexe, ils n’ont rien d’autre 
              à faire » et l’ interrogation de Munho sur 
              le devenir des étudiants en cinéma. | 
           
            | Encore une fois, je le vois comme le dialogue 
              de Munho, qui veut faire le malin en dissertant sur la société 
              coréenne. C’est la première chose que j’avais 
              à l’esprit. Mais est-ce que cela représente 
              mes points de vue ? Sur le sexe, non, je ne crois pas qu’il 
              y ait une grande différence entre la Corée et le reste 
              du monde, je n’ai pas les qualifications pour comparer ! 
              Sur les étudiants, oui, je trouve qu’il y a trop d’étudiants 
              en école de cinéma en Corée. Ce ne sera pas 
              facile pour eux d’avoir un travail, il y a tellement peu de 
              places. Mais si Munho dit cela face à Hunjoon, c’est 
              parce ce dernier doit avoir des tripes pour être cinéaste. 
              Dans un sens, Munho lui fait une attaque indirecte : « Soit 
              réaliste !». Lui a enduré les réalités 
              de la vie en Corée pendant que Hunjoon rêvait aux Etats-Unis. 
              Les étudiants en cinéma, il s’en moque ! | 
           
            | Qu’avez vous enseigné comme professeur 
              en cinéma ? | 
           
            | Surtout l’écriture de scénario. 
              Mais j’ai arrêté quand j’ai fini The Turning 
              Gate. | 
           
            | Une petite question fun : selon vous, l’ivresse 
              du soju est elle différente de celles des autres alcools ? | 
           
            | Oui, je crois. Quand vous buvez du soju, au 
              début cela a un drôle de goût. Puis si vous êtes 
              en bonne compagnie, vous enchaînez les verres, vous suivez 
              un tempo, mais à un moment, vous devenez complètement 
              ivre d’un coup. Avec du saké, vous savez que vous vous 
              enivrez, vous pouvez vous préparer. Mais le soju, c’est 
              très dur. C’est « boire pour être 
              bourré ». | 
           
            | Il faut dire que vous le buvez cul sec et que 
              chacun remplit le verre de l’autre ! | 
           
            | On n’aime pas boire seuls. Quand on 
              vous offre à boire, vous devez vider votre verre, c’est 
              très mal vu de refuser, cela veut dire « je ne 
              veux pas me mélanger avec vous ». Ces habitudes 
              de boisson vous forcent, elles vous amènent directement aux 
              émotions les plus basiques, on ne boit pas pour parler... 
              Mais le lendemain matin, les émotions semblent des nuages. 
              Au moment ou vous les avez ressenties, c’était réel, 
              mais quand vous changez votre condition, elle semblent lointaines. | 
           
            | Un détail : sur les cartons de 
              The Turning Gate, pourquoi cet étrange vert, très 
              « pop »? | 
           
            | Il rit. Quand je le regarde maintenant, je 
              le trouve aussi étrange, mais quand je faisais le montage 
              j’adorais tellement cette couleur ! Cela a été 
              dur de l’obtenir ! | 
           
            | La musique du film a des sonorités coréennes 
              mais on y entend aussi de l’accordéon. Est-ce une façon 
              de rendre hommage à la France ? | 
           
            | Je ne sais pas... Avant de tourner, j’ai 
              choisi un débutant, mais qui a voyagé, je crois qu’il 
              revenait juste d’Allemagne. Il cherchait du travail, il aimait 
              mes films donc on a décidé de travailler ensemble. 
              Je lui ai demandé de faire des expérimentations. Je 
              lui ai parlé de l’accordéon et je voulais une 
              jolie mélodie qui se répète, avec un rythme 
              très rapide en dessous. | 
           
            | En dehors de l’art, qu’aimez vous 
              dans la France, les français ? | 
           
            | C’est une généralisation. 
              La plupart des généralisations trahissent leurs apparences, 
              elles semblent très jolies mais elles n’aident pas. 
              Je connais peu de français personnellement et vous dites 
              « en dehors de l’art », donc que dire... 
              Avec ma petite expérience, je crois que votre pays a une 
              culture qui n’est pas déviée par les tendances 
              commerciales. Bien sûr, il existe cette tendance aussi, mais 
              il y a une autre part qui résiste et dit : « ceci 
              est étrange, mais vous devriez aller le revoir ! ». 
              Dans les autres pays, cette part est de plus en plus petite. Je 
              respecte et j’envie cela. | 
           
            | La Corée semble avoir une résistance 
              assez forte, notamment dans le cinéma ? | 
           
            | J’espère ! Mais la Corée, 
              au 20ème siècle, a été empêchée 
              de pratiquer ce que nous savions faire. On a été forcé 
              de ne pas parler coréen pendant l’occupation japonaise, 
              puis une guerre terrible a ruiné tout ce que nos ancêtres 
              avaient fait... Nous avons affronté des problèmes 
              différends. | 
           
            | Quels autres réalisateurs coréens 
              aimez vous? | 
           
            | J’hésite à dire, car en 
              tant que réalisateur coréen, pour vous répondre, 
              je dois regarder plus de films, j’en vois très peu. 
              Je vois ceux faits par les réalisateurs que je connais. Il 
              semble que beaucoup de jeunes réalisateurs ont du talent, 
              j’espère qu’ils ne l’utiliseront pas pour 
              de l’argent. | 
           
            | Vous avez sûrement vu Jealousy is my 
              middle name ? | 
           
            | Bien sûr, Park Chan-ok a été 
              mon assistante. Beaucoup de critiques l’ont comparé 
              à moi, et elle n’était pas contente. Je ne pense 
              pas que ce soit pareil. Les coréens voient 90% de « films 
              de genre » et laissent 10% pour d’autres sortes 
              de films. Quand vous faites un film différend, ils veulent 
              absolument le relier à un autre. Qu’est-ce que je peux 
              faire contre ça ? Je ne m’inquiète pas 
              pour Park Chan-ok, elle fera d’autres films et ils verront 
              qu’elle a un univers différend du mien. Quand j’ai 
              fait mon premier film, des critiques ont comparé avec un 
              tel, un tel... |