Qui aurait pu prédire que Nakashima Tetsuya allait prendre pareille direction avec Confessions?
Le plus intéressant avec Confessions est la manière dont le cinéaste parvient à faire tenir son concept tout du long, tout en étant très souvent à la limite du borderline. Il est aussi le film de la rupture avec ses œuvres précédentes (Kamikaze Girls, Memories of Matsuko, Paco and the Magical Book) qui baignaient pour la plupart dans un enrobage aux couleurs saturées, explosant la rétine du spectateur jusqu’à viser l’écœurement. Confessions n’est pas de ceux là, à défaut qu’il partage avec ses cousins le même goût pour une certaine forme de noirceur. On se rappelle de Kamikaze Girls et ses explosions de violence derrière son approche volontairement kawaï et caricaturale des personnages, Memories of Matsuko et sa narration excessivement cruelle, Paco and the Magical Book pour sa relecture du conte de fées traitant ouvertement, par exemple, de la mort. Quelque chose de terriblement malaisant se dégageait effectivement de ces films couleur rose bonbon. Et si Nakashima Tetsuya était l’un de ceux qui arrive à disséquer le mal-être des gens, d’une société, à l’aide du médium cinéma ?
Confessions est la directe et terrible réponse à cette question. Sauf qu’il ne s’arme pas des mêmes outils pour faire passer le message. Quel message d’ailleurs ? Les jeunes partent en couille ? C’est un fait. Leur adresser un long-métrage pour en discuter (rigoler) relève alors de l’obsession. Ou n’est-ce pas là tout simplement une confession ? C’est ce que font d’ailleurs les personnages du film autour d’un seul et même problème : la mort d’une petite gamine, retrouvée dans la piscine de l’école où enseigne sa mère. Le film débute d’ailleurs par une très longue mise en place du problème par cette même mère (orpheline de son mari et donc récemment de sa fille) à ses élèves, une forme de construction narrative confinant à la maniaquerie. Obsession de tenir un fil conducteur qui ne change sensiblement jamais, obsession de l’image subliminale (le film semble être parsemé de flashs), obsession de jouer avec le temps, de le ralentir ou de l’accélérer, un procédé qui trouve d’ailleurs son apogée lors du sidérant climax final qui, comme au rythme de la bande-son lancinante du film, finit par exploser.
Au-delà de son sujet provoc, celui d’une enseignante qui avant de prendre des vacances souhaite faire payer le prix à deux de ses élèves responsables de la mort de sa fille, Confessions est un film pour qui la mise en scène dépasse –et de loin- le simple filmage pour mettre en forme son sujet. Il n’est pas conceptuel, il ne ressemble juste à rien de bien connu, tout du moins en Asie (Elephant de Gus Van Sant, faisait preuve de cette même lenteur sans toutefois pousser le concept aussi loin). Il n’est pas qu’uniquement glacial, il peut se prétendre être d’une drôlerie générale proprement effrayante. Ou comment jouer avec la vie des bourreaux pour leur faire payer leur crime. Dans une société qui laisse le soin aux mineurs de laisser libre cours à leurs pulsions sans être inquiété par le code pénal, une femme se dresse devant cette montagne infranchissable pour faire passer sa propre loi : la vengeance est un plat qui ne se mange pas ici froid, mais glacial. Et contrairement aux films de vengeance, aux bobines revenge qui ont pullulé sur les écrans du monde entier durant les années 70, dont Confessions emprunte en filigrane ses notions, il en transgresse ici les codes puisqu’il énonce une violence ici en constante sourdine, une autodestruction que l'on ne verra jamais, perceptible par cette étrange sensation de flottement laissant à penser que tôt ou tard quelque chose ou quelqu’un finira par exploser. Le film n'est pas non plus que centré sur la victime devenue bourreau, Matsu Takako, terrifiante dans la peau d’un bourreau serein, apparaît en effet le premier quart d’heure pour réapparaitre au cours des vingt dernières minutes, irradiant le film de sa présence presque démoniaque.
Le cinéaste convoque ici deux opposés, la maturité tranquille du professeur et la jeunesse inconsciente des élèves, pour finalement débarrasser son professeur du fardeau du bourreau qui pesait sur ses épaules : ici, ce sont les élèves qui, au final, se détruisent. Un jeu de manipulation que l’on doit au talent de Nakashima Tetsuya, scénariste et metteur en scène. On trouvera certes à redire sur le côté provocateur du film, notamment dans son écriture qui ne laisse jamais bien longtemps la place à la joie et à la bonne humeur comme tentait de nous faire croire ce court passage où les élèves se mettent subitement à danser sur le tube planétaire That’s the Way. Confessions préfère plutôt nager dans la noirceur (à deux doigts de s’y complaire), s’empêtrer dans un scénario en forme de machination plutôt dingue, froide ironie, emmenant le spectateur où il veut pour finalement jouer avec lui, car chaque nouvelle confession (l’enseignante, le meurtrier, son complice, la mère du complice, la petite-amie du meurtrier…) contredit et remet en question ce qui a précédemment été dit. Un jeu de « confessions » virant à la blague très noire.
Confessions, en dehors d’être un exercice de style bluffant, explore le mal-être d’une génération dopée à la vitesse. Et malgré son apparente lenteur, le film file à la vitesse de l’éclair : dès son introduction, les très nombreux travelings exacerbant cette idée de temps suspendu, de malaise, sont ponctuées d’images chargés de sens. Les sms éclaboussent l’écran, écrits dans l’urgence parce qu’il y a quelque chose à cacher ou à ne pas dire. Les adolescents jouent aux plus forts pour épater ou tout simplement pour exister. Car finalement, ce meurtre, on le doit au départ à un élève qui veut exister, être connu dans une société où l’on accorde sans doute plus d’importance aux horreurs qu’aux petits bonheurs quotidiens qui n’intéressent finalement personne. Faire les gros titres des journaux papiers ou télévisés est comme un tapis rouge que l’on déroule devant le coupable. Qu’importe son geste, on en parlera. A l’heure où la jeunesse s’enferme dans une bulle, dans un espèce de microcosme asphyxiant quitte à n’exister qu’à travers le virtuel (le coupable tient un blog dans lequel il teste ses dernières inventions sur des animaux) ou auprès de quelqu’un, certains veulent en sortir à leur manière, avec leurs idées bien à eux, quitte à basculer dans l’inconscience la plus totale, dans une folie liée à un passé sans doute pas tout à fait clair. A ce stade, on pourrait rapprocher Confessions du remarquable All About Lily Chou-Chou du japonais Iwai Shunji, partageant tous deux une thématique très forte liée à la jeunesse. Sauf que Nakashima va encore plus loin dans la fiction et la cruauté, dépassant allègrement son confrère qui portait déjà un regard particulièrement sombre sur cette même jeunesse.
Nakashima Tetsuya semble vouloir continuer sur une succession (association ?) de portraits de femmes qui veulent simplement chercher la paix, ou tout simplement, l’avoir. La grande différence entre Matsuko de Memories of Matsuko et Yoko Moriguchi réside par exemple dans les décisions que prennent chacune d’entre elles. Matsuko n’arrive jamais à s’imposer dans le monde cruel dans lequel elle vit, essuyant les déceptions sur déceptions sans pour autant bouger le petit doigt, autrement que de se persuader que, allé, la vie ne peut pas être aussi triste que cela. Elle est une victime à part entière, incapable de sortir la tête de l’océan d’utopie dans laquelle elle se noie. L’enseignante Yoko Moriguchi est quant à elle marquée par un élément qui l’a dévasté au point de prendre une initiative démoniaque : régler ses comptes à sa manière avec le meurtrier de sa fille, soit par un acte concret ou soit par une manipulation. Elle dépasse allègrement le rôle de femme traumatisée par un évènement et qui se serait alors renfermée sur elle-même. Les larmes de l’enseignante sont des couteaux aux lames aiguisées, tranchant la cruauté des fautifs avec une incroyable sérénité. Et si l’on revient à Paco and the Magical Book, son œuvre précédente toujours inédite en France au même titre que Memories of Matsuko (pendant que les éditeurs s’arrachent les adaptations live fadasses de mangas populaires), la petite héroïne eurasienne n’avait pas tout pour sourire. Même si le film baignait dans une esthétique de conte de fées (plutôt inquiétante, au passage), les patients de l’hôpital psychiatrique, tous plus dingues que les autres, faisaient tout en leur possible pour aider la jeune fille à ne pas perdre la mémoire. Enfin, les deux jeunes femmes de Kamikaze Girls s’identifiaient toutes les deux à un personnage qui aurait très bien pu sortir d’un manga ou d’une série animée populaire : l’une ne s’habille qu’en cosplay tandis que l’autre joue les punks de service.
Les femmes (héroïnes) du cinéma de Nakashima Tetsuya semblent donc être toutes touchées par un mal-être les rongeant de l’intérieur, qui les oblige à user de stratagèmes divers et variés (une dégaine, une attitude forcenée) pour calmer cette douleur qu’on ne voit pas. Et à l’image du travail esthétique réalisé sur l’ensemble de ses films, les couleurs ne sont pas toutes là pour faire jolies. Elles font illusion. Mais avec Confessions et ses images baignées dans un noir des plus glacial, Nakashima Tetsuya ne fait maintenant plus illusion. Les choses sérieuses commencent. Quel cinéaste!